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LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LEGISLATION, DU SUFFRAGE UNIVERSEL, DU REGLEMENT ET D’ADMINISTRATION GENERALE

Document : Infos publiées dans une brochure le 11 Avril 98 Sénat

Bulletin des commission N°22 page 3504 à 3545.

Déju, enfant naturel, divorce devant le maire ... Débat au sénat

 

Mercredi 8 avril 1998 - Présidence de M. Jacques Larché, président. La commission des Lois a organisé une journée d’auditions publiques sur l’évolution du droit de la famille.

Au cours d’une première séance tenue dans la matinée, la commission a tout d’abord procédé à l’audition de Mme Irène Théry, sociologue.

Mme Irène Théry a indiqué que, son audition intervenant à un moment où elle avait été chargée par Mme Élisabeth Guigou, ministre de la Justice, et par Mme Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité, de rédiger un rapport sur l’évolution de la famille tendant à dresser un bilan de l’état du droit au regard de cette évolution, elle exposerait simplement devant la commission des Lois son point de vue personnel sur deux questions traitées par elle dans deux articles publiés récemment : la crise de l’institution familiale d’une part, le contrat d’union sociale d’autre part.

Sur le premier thème, elle a rappelé que les évolutions touchant l’institution familiale suscitaient un débat idéologique opposant une interprétation stigmatisant la crise de la famille comme indice et facteur de décadence morale et sociale à une autre conception appréhendant cette évolution comme un progrès des valeurs de liberté individuelle, d’authenticité et d’égalité.

Ayant souligné le caractère par trop schématique, à ses yeux, de ce débat bipolaire, elle a observé qu’il révélait un accord sur le sens de l’évolution s’articulant autour de trois points principaux : le passage de la référence à la famille à celle de l’individu, ou " individualisation " ; le passage de règles communes à des valeurs privées, ou " privatisation " ; le passage de la famille, au singulier, aux familles, au pluriel, ou " pluralisation ". Elle s’est cependant interrogée sur la pertinence de ce triple constat conduisant à une " désinstitutionnalisation " de la famille en rappelant d’une part, que des enquêtes et sondages récents révélaient l’importance des solidarités intergénérationnelles, d’autre part, que les attentes sociales se traduisaient par une forte demande normative et, enfin, que les différentes formes adoptées par la cellule familiale, telles que le mariage, le concubinage stable ou la famille monoparentale, constituaient non pas des modèles alternatifs mais bien souvent des séquences d’un même cycle de vie familiale.

Reconnaissant l’existence de situations familiales problématiques et l’évanescence des repères essentiels, elle a souligné la nécessité d’analyser les mutations de l’institution familiale en commençant par clarifier la notion de " famille ".

Elle a estimé que cette notion ne devait pas seulement être définie en fonction du lien biologique, des liens du sang, ou du fait social constitué par les modes de vie, mais également par rapport à un système symbolique, celui de la parenté, intégrant la différence des sexes et celle des générations en articulant trois types de liens, le lien de conjugalité, le lien de filiation et le lien de fraternité. Elle a observé que la période actuelle vivait une désarticulation entre le lien de conjugalité et le lien de filiation dans la mesure où, d’une part, le mariage avait cessé d’être une obligation sociale impérative pour devenir une question de conscience personnelle, la reconnaissance de l’égalité des hommes et des femmes ayant conduit à magnifier la dimension individuelle, contractuelle et privée du lien, et où, d’autre part, le lien de filiation avait connu une évolution inverse en s’affirmant comme de plus en plus inconditionnel, indissoluble. Elle a considéré que ce transfert du principe d’indissolubilité, de la conjugalité vers la filiation, était au cœur de la crise de l’institution familiale, aggravée par un discours individualiste conduisant à renoncer à l’édification de valeurs communes de référence.

Ayant souligné la nécessité impérieuse de s’accorder sur une définition de la parenté contemporaine capable de transcender, tout en la respectant, la diversité des situations concrètes, elle a précisé que le droit, en définissant les droits et devoirs et en garantissant la sécurité des liens de parenté, avait une fonction instituante essentielle. Reconnaissant les progrès importants accomplis dans certains domaines tels que l’égalisation du régime applicable aux enfants naturels et légitimes, elle a constaté l’existence d’une grave lacune concernant le statut de la paternité contemporaine.

Dans la perspective d’une réinstitution du lien familial, elle a mis en garde contre la tentation d’adopter une démarche réductrice, se réfugiant dans la certitude du lien biologique garanti par l’expertise génétique, ou repensant la famille au travers d’un prisme univoque tel que les droits de l’enfant, approche illusoire, non dépourvue bien souvent d’une certaine démagogie sentimentale. Se référant à l’ouvrage du doyen Carbonnier sur l’explosion des droits subjectifs susceptibles de transformer la famille en un lieu d’affrontements, elle a rappelé que la famille devait être conçue comme un système d’échanges, de liens mutuels, où chacun a des droits et des devoirs, et que la valeur de l’autorité parentale devait être réaffirmée en dénonçant les visions simplificatrices tendant jadis à disqualifier les parents " abusifs " et aujourd’hui les parents " démissionnaires ".

Mme Irène Théry a ensuite abordé le second thème de son exposé : le contrat d’union sociale.

Elle a observé que la revendication des homosexuels tendant à la reconnaissance de leurs liens de couple avait été révélée par l’épidémie du sida. Estimant légitime cette revendication, elle a rappelé que le Traité d’Amsterdam avait ajouté à la liste des discriminations prohibées celle fondée sur l’orientation sexuelle.

Qualifiant les propositions de loi relatives au contrat d’union civile ou sociale de contradictoires et juridiquement inconsistantes, elle a considéré que, tout en se présentant comme un mode de reconnaissance juridique du couple homosexuel, elles introduisaient en réalité une confusion entre les différents types de liens en appliquant un même statut à un couple, deux amis ou encore un frère et une sœur. Elle a observé que ces propositions prévoyaient l’institution d’un " mariage bis ", contraire au choix de l’union libre effectué par les concubins hétérosexuels, et a regretté que cela remette en cause une conquête majeure de la Révolution française, l’unicité du mariage civil qui, dans le respect de la pluralité des situations et des convictions, avait intégré les principes démocratiques d’égalité et de liberté. Elle a estimé que le contrat d’union sociale constituait donc une " fausse bonne idée " et qu’il convenait d’imaginer un système fondé sur le constat d’une réalité, l’existence de couples de concubins, hétérosexuels ou homosexuels, en reconnaissant à tous les mêmes droits. Elle a regretté que la jurisprudence de la Cour de cassation n’admette le concubinage qu’au bénéfice des couples hétérosexuels et a souligné les incohérences du droit fiscal applicable aux concubins.

Après avoir précisé que l’Edit de tolérance pris par Louis XVI en 1787 et non la Révolution française avait restauré l’état civil pour les protestants, M. Jacques Larché, président, a observé que l’analyse sociologique constituait le socle indispensable de la réflexion juridique sur l’évolution du droit de la famille. Il a souligné que le principe d’indissolubilité du lien de filiation se trouvait aujourd’hui confronté à l’apparition de couples d’un type nouveau.

M. Robert Badinter s’étant interrogé sur le point de savoir si l’affirmation, le cas échéant au plus haut niveau des normes juridiques, d’un principe de non-discrimination en fonction des mœurs ne serait pas une solution, Mme Irène Théry a estimé qu’il ne fallait pas confondre les notions de " discrimination " et de " différence " et, qu’en matière de filiation, distinguer couples homosexuels et couples hétérosexuels ne serait pas nécessairement discriminant. Au contraire, a-t-elle précisé, la distinction aurait un sens car la différence des sexes a du sens.

**La commission a ensuite procédé à l’audition de MM. Philippe Malaurie, professeur à l’Université du Panthéon-Assas, Alain Benabent, professeur à l’Université de Paris X et Mme Jacqueline Rubellin-Devichi, professeur à l’Université de Lyon.

Après avoir approuvé l’analyse de Mme Irène Théry tout en exprimant des réserves sur ses conclusions, M. Philippe Malaurie a souligné la nécessité d’une réforme globale du droit de la famille guidée par une conception humaniste préservant le caractère sacré de cette institution.

Il a rappelé que la réforme du droit des successions était en suspens depuis 1988, cet échec étant en partie imputable au fait que le projet de loi ne prenait pas en considération le problème de l’éclatement de la cellule familiale.

Considérant que l’expression de " divorce civil ", à propos du divorce déjudiciarisé, était impropre et qu’il serait préférable de parler de " divorce administratif ", il a observé que, quelle que soit la procédure, le divorce constituait un mal et qu’il convenait de rechercher la solution la moins mauvaise. Il a estimé que le " divorce administratif " n’était envisageable que dans les situations où, l’accord des époux étant constaté, il n’y avait ni patrimoine commun ni enfants. Dans tous les autres cas, il a considéré que le divorce devrait être nécessairement prononcé par l’autorité judiciaire, garante de la protection du plus faible, et que la procédure devrait être précédée de la conclusion d’une convention de liquidation patrimoniale et ménager un délai de réflexion de six mois, chaque époux étant assisté d’un avocat. Il a précisé qu’il faudrait prévoir une procédure de rescision pour lésion de ces conventions de liquidation.

Affirmant le caractère inopportun de tout système conçu comme une alternative au mariage, M. Philippe Malaurie, reconnaissant la nécessité d’adapter le droit aux évolutions factuelles, de lutter contre les discriminations et de prendre en compte la diversité des situations et notamment les revendications des couples d’homosexuels, a estimé que la distinction entre homme et femme, repère premier pour l’individu et la société, ne devait pas disparaître. Il a précisé qu’à cet égard les projets tendant à instaurer un contrat d’union sociale ou un pacte d’intérêt commun étaient équivoques. Il a considéré qu’il fallait maintenir l’union libre d’une part, le mariage d’autre part, ce dernier se caractérisant par un rite dont découlaient de nombreuses conséquences juridiques. Soulignant le risque d’évasion fiscale susceptible de résulter des nouveaux systèmes proposés, il a regretté leur logique réductrice et pécuniaire et a estimé qu’ils affecteraient la cohésion de la société civile par le retour à une pluralité de mariages. Il a estimé que leur examen conduisait, au sens propre, à un dilemme, deux conceptions contraires risquant d’aboutir à un même résultat : réduire la grandeur de l’union.

En réponse à M. Jacques Larché, président, M. Philippe Malaurie a rappelé que le mariage n’impliquait pas plus que le concubinage la domiciliation commune.

Après avoir indiqué qu’il partageait les conclusions de M. Philippe Malaurie sur le contrat d’union sociale, M. Alain Bénabent a observé que les trois procédures, divorce par consentement mutuel, divorce pour faute et divorce pour rupture de la vie commune, se révélaient partiellement inadaptées.

Estimant inopportun de réduire la durée de la procédure de divorce par consentement mutuel, il a souligné la nécessité de procéder à une refonte du régime du divorce pour rupture de la vie commune, celui-ci ne jouant plus qu’un rôle marginal du fait, notamment, de la longueur excessive du délai de six ans. Il a considéré que nul ne pouvait être contraint à poursuivre une vie maritale vouée à l’échec et qu’il fallait instaurer un divorce par volonté unilatérale. Il a précisé que ce nouveau régime devrait être clairement distingué de celui de la répudiation et a rappelé que le premier projet Naquet, présenté en 1876, prévoyait le divorce par exercice d’une volonté unilatérale persistante, réitérée à quatre reprises sur une durée d’un an.

M. Alain Bénabent, qualifiant d’anachronique et nocif le divorce pour faute, s’est interrogé sur son utilité. Il a constaté que dans 90 % des cas les torts étaient partagés. Il a indiqué que si autrefois cette procédure permettait de faire proclamer son innocence et la culpabilité de l’autre, le divorce ayant alors une connotation sociale négative, cette justification avait disparu. Il a précisé que la recherche des preuves de la culpabilité conduisait à envenimer les situations et, qu’aujourd’hui, la responsabilité civile résultant du constat d’une faute patente devait constituer un accessoire et non une condition du divorce.

Estimant nécessaire d’alléger les conditions d’accès au divorce pour le dédramatiser, il a affirmé la nécessité de renforcer les garanties attachées au déroulement de la procédure par l’intervention du juge, le maintien de délais de réflexion suffisants et l’instauration systématique d’un règlement global et concomitant de la situation matrimoniale et de la situation patrimoniale.

Tout en approuvant l’adoption par le Sénat de la proposition de loi sur la prestation compensatoire, Mme Jacqueline Rubellin-Devichi a regretté l’absence de dispositif fiscal destiné à encourager le versement d’un capital alors que la rente était déductible du revenu imposable.

Constatant que près de la moitié des divorces étaient prononcés pour faute, elle s’est déclarée hostile à la suppression de cette procédure et a estimé qu’en matière de divorce pour rupture de la vie commune le délai pourrait utilement être ramené de six à trois ans. En matière de divorce par consentement mutuel, elle a souligné la nécessité de réintégrer dans la procédure la liquidation de la situation patrimoniale.

Ayant constaté que, contrairement au droit québécois, le code civil ne définissait pas le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme, elle a observé que l’union libre n’était que très partiellement prise en compte par le droit civil et a critiqué la jurisprudence récente de la Cour de cassation limitant le concubinage aux relations entre un homme et une femme.

Elle a estimé que les nouveaux systèmes proposés de contrat d’union sociale ou de pacte d’intérêt commun, constituant des pseudo-mariages, devraient être réservés aux unions entre homosexuels. Elle a suggéré de substituer à l’expression " pacte d’intérêt commun " celle de " pacte de vie commune " qui s’appliquerait à " deux personnes entre lesquelles le mariage est impossible ". Elle a précisé que ce pacte devrait être conclu devant notaire.

Regrettant que la chambre criminelle de la Cour de cassation ait refusé d’appliquer la Convention internationale des droits de l’enfant en considérant que cette convention ne liait que les États entre eux, elle a souhaité que soit ouvert aux enfants un droit d’ester en justice, moyennant autorisation du juge.

S’interrogeant sur la démarche tendant à solliciter une modification législative chaque fois qu’une jurisprudence était considérée comme gênante, M. Jacques Larché, président, a indiqué que l’amendement de la commission des Lois tendant à aménager la fiscalité applicable en matière de prestation compensatoire s’était vu opposer l’article 40 de la Constitution par le Gouvernement. Il a par ailleurs souligné l’urgence de réformer le droit des successions pour tenir compte de la longévité accrue de la vie humaine et pour améliorer la protection du conjoint survivant.

M. Michel Dreyfus-Schmidt, partisan de la présence de deux avocats, s’est interrogé sur l’opportunité de tarifer leurs honoraires en matière de divorce par requête conjointe, sans enfants, ni biens.

M. Jacques Larché, président, a constaté que l’augmentation du nombre de divorces par demande acceptée constituait un détournement de procédure pour éviter les délais imposés en matière de divorce par requête conjointe.

**La commission a ensuite procédé à l’audition de Mmes Sylvaine Courcelle, vice-président du tribunal de grande instance de Paris, Marie-Christine George, juge aux affaires familiales au tribunal de grande instance de Créteil et Danièle Ganancia, juge aux affaires familiales au tribunal de grande instance de Nanterre.

Évoquant en premier lieu le statut des pères naturels, Mme Sylvaine Courcelle a considéré que le père ayant reconnu son enfant avant son premier anniversaire devrait se voir conférer l’autorité parentale sans que soit maintenue la condition de communauté de vie avec la mère.

Elle s’est inquiété des propositions de Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, envisageant un divorce prononcé par le maire. Mme Sylvaine Courcelle a considéré que la dramatisation d’une procédure au motif qu’elle se déroulerait devant le juge n’était pas établie, prenant pour exemple la préférence des couples, recourant à la procréation médicalement assistée pour la procédure gratuite devant le juge plutôt que devant le notaire.

En ce qui concerne la lenteur des procédures actuelles de divorce, Mme Sylvaine Courcelle a fait valoir que celle-ci était inhérente aux appréciations que le juge devait porter, en particulier sur l’équité de la convention proposée par les époux et sur l’intérêt des enfants. Elle a souligné que de telles appréciations en la matière ne relevaient manifestement pas de la compétence du maire.

A propos du coût de la procédure, elle a fait remarquer qu’il résultait essentiellement de celui de l’intervention des avocats et des notaires, rappelant que dans le cas de requête conjointe, les deux époux pouvaient sans inconvénient recourir à un seul avocat puisqu’il appartenait ensuite au juge de vérifier l’équité de la convention. Elle a ajouté que sans l’intervention du juge, l’intervention d’un avocat pour chaque époux serait absolument indispensable afin de défendre les intérêts de chacun d’eux, estimant donc que la procédure devant le maire pourrait s’avérer plus onéreuse que devant le tribunal.

Mme Sylvaine Courcelle a souligné que l’accord du couple au moment de la requête se trouvait souvent remis en cause par la suite, les deux conjoints n’ayant pas nécessairement mesuré toute la portée de leur convention lors de leur demande.

S’agissant du divorce intervenant en l’absence d’enfant et de biens, elle a fait observer que le repérage des cas simples pouvait soulever des difficultés.

Mme Sylvaine Courcelle a estimé que le délai de six ans pour pouvoir demander un divorce pour rupture de vie commune paraissait excessif.

Elle a relevé que la majorité des divorces demandés pour faute étaient prononcés aux torts partagés au terme d’une procédure se déroulant dans un climat malsain, en particulier pour les enfants.

Elle s’est demandé si un divorce par volonté unilatérale de l’un des conjoints n’équivaudrait pas à une répudiation.

Mme Sylvaine Courcelle a considéré comme inefficace la proposition tendant à prévoir l’intervention d’un médiateur, prenant en considération le fait que le couple était au moins d’accord sur le fait de se séparer. Elle a ajouté qu’il n’y avait pas lieu de transférer à des travailleurs sociaux le soin de contribuer à la prise d’une décision sur un divorce. Pour justifier le maintien du divorce pour faute, elle a estimé préférable que l’agressivité entre conjoints s’exprime sur les causes de la discorde plutôt qu’ultérieurement sur les conséquences du divorce pour les enfants.

Mme Sylvaine Courcelle a estimé souhaitable de distinguer la décision sur le divorce de celle sur ses conséquences financières, dans le cas où il serait prononcé pour faute, car le régime actuel conduisait trop souvent le juge à prononcer celui-ci aux torts partagés.

Elle s’est opposée à l’élaboration d’un statut spécifique pour les familles recomposées, qui devrait prendre en compte de situations trop diverses de fait et traiter de manière comparable des familles éphémères et des couples plus stables.

En réponse à M. Jacques Larché, président, qui l’interrogeait sur le pourcentage des refus opposés à des demandes de divorce sur requête conjointe, Mme Sylvaine Courcelle a indiqué que les refus étaient très rares, les magistrats préférant, en cours de procédure, inciter les époux à amender leur convention dans un sens plus équilibré.

Mme Marie-Christine George a exposé que le tribunal de grande instance de Créteil prenait chaque année entre 7.500 et 8.000 décisions en matière civile parmi lesquelles 72 % concernaient le domaine familial.

Elle a considéré que la loi de 1993 renvoyant aux parents la responsabilité principale concernant les conséquences du divorce pour les enfants et confiant un rôle subsidiaire au juge dans ce domaine, avait connu des effets positifs, rappelant que cette loi maintenait en principe l’exercice de l’autorité parentale par les deux parents.

Elle a regretté une trop grande méconnaissance de la loi de 1993, y compris de la part des services administratifs, citant en particulier le cas de l’administration fiscale demandant copie d’une décision juridictionnelle sur le domicile des enfants alors que celle-ci serait désormais sans objet, un simple accord des parents pouvant suffire.

S’agissant des enfants naturels, Mme Marie-Christine George a jugé que l’exigence du maintien de la condition de communauté de vie ne devait plus conditionner l’autorité parentale du père, soulignant le caractère impératif d’une meilleure sécurité juridique de l’enfant, par l’établissement clair de sa filiation dès la naissance.

Elle a estimé nécessaire de modifier le décret de 1962 permettant l’établissement d’un acte de reconnaissance d’enfant naturel devant les services d’état civil de la mairie, considérant la très grande importance des effets attachés à cette reconnaissance.

Elle a souligné le caractère gravement préjudiciable pour les enfants des actions en contestation de paternité lorsqu’elles étaient trop nombreuses, citant le cas d’un enfant de huit ans dont la filiation avait été modifiée à quatre reprises.

Mme Marie-Christine George a estimé trop long le délai de dix ans laissé à son auteur pour contester sa reconnaissance de paternité sur la base de la possession d’état. Elle a souhaité que l’enfant se voit attribuer le nom de son père en cas de reconnaissance par ce dernier dans l’année suivant la naissance.

Mme Marie-Christine George a estimé nécessaire de prendre en considération les modifications intervenues dans la vie familiale depuis la promulgation de la loi de 1975 sur le divorce, à savoir que la vie conjugale précédait souvent le mariage et que le divorce pouvait intervenir bien après la séparation.

Elle a souligné que le divorce pour rupture de vie commune n’était prononcé que dans 1 % des cas.

Faisant état des 120.000 divorces prononcés par an dont 2.600 au tribunal de grande instance de Créteil, Mme Marie-Christine George a considéré que le divorce pouvait être prononcé par le maire, dont les compétences seraient limitées au recueil du consentement. Elle a ajouté que ce type de divorce pourrait répondre sans inconvénients aux cas de personnes dont le divorce par requête conjointe pouvait dissimuler une absence d’accord réel non sur la séparation elle-même, mais sur ses conséquences.

Mme Marie-Christine George a souhaité le développement de l’aide juridictionnelle en dehors du cadre d’une procédure judiciaire aux fins de permettre aux époux de recourir plus aisément à des professionnels contribuant au règlement de leurs conflits comme les avocats, les notaires ou les conseillers conjugaux, faisant remarquer que la conciliation devant le juge n’intervenait que dans 0,5 % des cas.

Elle a fait remarquer que la moitié des divorces étaient suivis d’un nouveau contentieux quelques années plus tard, portant en particulier sur la révision de la pension alimentaire. Mme Marie-Christine George a exposé que dans 13 % des cas, le divorce donnait lieu à attribution d’une prestation compensatoire, faisant observer que bien souvent il s’agissait de compenser un partage inégal. Elle a souligné que les litiges survenant après le divorce ne résultaient pas nécessairement de sa mauvaise gestion, mais aussi de l’impossibilité d’envisager tous les problèmes lors du premier jugement.

En conclusion, Mme Marie-Christine George a récapitulé les avantages qu’elle percevait à l’institution d’un divorce devant le maire, à savoir une meilleure responsabilisation des époux, une limitation de l’intervention du juge à la prise de décision sur les seules conséquences du divorce, une réduction de l’encombrement des tribunaux et la fin d’une injustice à l’égard des couples mariés, les concubins pouvant se séparer plus facilement.

Mme Danièle Ganancia a tout d’abord souligné la nécessité de contenir le caractère conflictuel du divorce en limitant celui-ci à un constat objectif de l’échec du couple et de l’impossibilité de poursuivre la vie commune.

Elle a fait observer que le divorce par requêtes conjointes ne comportait pas toujours, malgré les apparences, un accord réel des époux sur ses conséquences.

Elle a considéré que la procédure de divorce pour faute revêtait un caractère essentiellement destructeur, conduisant les époux à refuser tout dialogue. Elle a fait observer que le débat inhérent à cette forme de divorce ne pouvait qu’être préjudiciable aux enfants. Elle a ajouté que les comportements fautifs des conjoints devaient entraîner par ailleurs leur responsabilité civile et pénale dans les conditions de droit commun.

Mme Danièle Ganancia a souligné qu’il n’appartenait pas à la justice, dans le cadre d’une procédure de divorce, de porter une appréciation morale sur le couple.

Elle a contesté qu’un divorce prononcé à la demande d’un conjoint seulement puisse être assimilé à une répudiation, prenant en considération le fait qu’il ne pouvait y avoir maintien des liens du mariage par la volonté d’une seule personne.

Mme Danièle Ganancia a ensuite énuméré les trois conditions auxquelles le divorce à l’initiative de l’un des conjoints pourrait être prononcé, à savoir trois ans de séparation, un accord des époux sur le fait de la séparation et, en cas d’opposition de l’autre époux, le recours à une médiation qui, en cas d’échec, ouvrirait un nouveau délai de dix-huit mois.

Elle a estimé que de telles conditions permettraient de ne pas banaliser la procédure de divorce et de laisser aux personnes concernées le délai de réflexion nécessaire.

En réponse à M. Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Marie-Christine Georges a estimé que la suppression de la condition de cohabitation pour la reconnaissance d’un enfant par son père naturel ne risquait pas de susciter des fausses reconnaissances.

**La commission a ensuite procédé à l’audition de M. Jean Hauser, professeur à l’Université de Bordeaux, président de la mission de recherche droit et justice sur le pacte d’intérêt commun (PIC).

M. Jean Hauser a tout d’abord rappelé que le droit de la famille comportait à la fois des aspects personnels et des aspects patrimoniaux, qu’il ne pouvait être dissocié d’autres branches du droit tel que le droit social et le droit fiscal et qu’on ne pouvait envisager la réforme du droit de la famille sans en tenir compte. Il a observé qu’au cours des trente dernières années, on avait tenté de faire prendre en compte les faits par le droit alors qu’auparavant celui-ci était défini de manière impérative et a souligné qu’à cet égard le droit social avait précédé le droit civil. Il a estimé que, pour autant, l’adaptation du droit de la famille aujourd’hui envisagée ne devait pas consister à faire remonter l’ensemble des faits vers le droit, une telle évolution risquant de faire perdre toute utilité au droit.

A propos du mariage, M. Jean Hauser a fait valoir que le droit du mariage mériterait, autant que celui du divorce, de faire l’objet d’une réforme. Il a estimé que bien des dispositions actuelles étaient " vieillottes ", en particulier en matière de publications ou d’oppositions.

M. Jean Hauser a estimé qu’on ne pouvait réformer le divorce sans conséquences sur le mariage. Il a jugé utile d’introduire en droit français un divorce pour cause objective. Il s’est déclaré réservé sur la suppression du divorce pour faute, en observant que cette procédure était la dernière sanction des obligations du mariage. Il ne s’est en revanche pas opposé à des améliorations techniques.

A propos de la déjudiciarisation du divorce, M. Jean Hauser a estimé que confier aux maires le soin de prononcer le divorce conduirait à des difficultés sérieuses sans économiser le temps des magistrats. Il a observé que les recours en matière de divorce étaient relativement peu nombreux grâce à l’homologation des conventions par le juge et a exprimé la crainte qu’en l’absence d’une telle homologation par le juge, les contestations se multiplient.

Il a en revanche fait valoir que certains aménagements de procédures actuelles, en particulier en matière de divorce sur requête conjointe, pourraient incontestablement constituer des progrès.

M. Jean Hauser a ensuite abordé la question des conséquences du divorce et en particulier la prestation compensatoire. Observant que le législateur de 1975 avait limité strictement la révision de cette prestation pour éviter la multiplication des contentieux, il s’est demandé si la proposition de loi votée par le Sénat, tendant à élargir les possibilités de révision, ne risquait pas de faire renaître de multiples conflits. Il s’est prononcé pour l’adoption d’une mesure transitoire qui permettrait la révision des prestations compensatoires les plus anciennes versées ponctuellement, et a souhaité que, pour l’avenir, le juge ait la possibilité de prévoir une date à partir de laquelle un réexamen de la prestation deviendrait possible lorsqu’il estimerait n’avoir pas tous les éléments pour trancher. Il a en outre estimé nécessaire de prévoir un régime fiscal particulier en cas de versement de la prestation compensatoire en capital.

M. Jean Hauser a ensuite présenté le projet de pacte d’intérêt commun élaboré par la mission de recherche " Droit et Justice ". Il a tout d’abord observé qu’il existait une revendication symbolique visant à permettre à certains couples d’obtenir une reconnaissance par le droit à travers la mise en place d’une forme de mariage. A ce sujet, il a souligné, que dans la plupart des pays où existait un contrat de partenariat, l’assimilation au mariage n’était pas intégrale. Il a fait valoir qu’il existait en revanche des revendications pratiques en matière civile, sociale et fiscale visant à organiser la communauté de vie de deux personnes et que ces revendications méritaient d’être prises en compte.

M. Jean Hauser a estimé que, compte tenu du développement de la solitude, fléau aggravé par la perte des repères, la société avait peut-être aujourd’hui intérêt à donner des droits à ceux qui choisissent de vivre à deux, indépendamment de tout jugement d’ordre moral. Il a donc plaidé pour la mise en œuvre d’un pacte d’intérêt commun, qui ne prendrait pas place dans la partie du code civil consacrée aux personnes, mais dans le livre III de ce code, entre les dispositions relatives au statut de la société et celles portant sur les conventions relatives à l’exercice des droits indivis. Il a indiqué que ce pacte ne donnerait pas autant de droits que le mariage, la société ayant pour l’heure davantage à favoriser le mariage que la création d’un tel pacte. Il a souhaité qu’on ne fasse aucune distinction parmi les cohabitants, la justification du pacte étant d’abord de traiter la question de la solitude. Il a estimé que le seul critère devrait être celui de la vie en commun et non celui de l’existence de relations sexuelles.

Évoquant enfin la filiation et les relations familiales, M. Jean Hauser s’est prononcé contre une réforme globale de la loi de 1972, soulignant qu’en matière de droit de la famille, il fallait un temps assez long avant que les lois soient pleinement prises en compte dans la pratique. Il a en revanche estimé nécessaire de modifier l’ensemble des délais en matière de droit de la filiation. Il a en effet observé que les délais de prescription ne posaient guère de difficultés à l’époque où la nature se chargeait de faire disparaître les preuves de la filiation, mais que les progrès scientifiques imposaient aujourd’hui une modification des délais de prescription pour éviter la multiplication d’actions abusives en recherche de filiation.

Concluant son propos, M. Jean Hauser a déclaré qu’il ne fallait pas craindre l’évolution du droit de la famille mais que l’immense majorité des sujets de droit se satisfaisait du droit actuel. Il a rappelé que, s’il existait 3 millions de concubins, il existait aussi 17 millions de couples mariés et que près de 60 % des mariages ne se terminaient pas par une rupture. Il a donc mis en garde contre la tentation d’un droit de la marginalité qui n’a jamais été la vocation du droit de la famille.

M. Jacques Larché, président, a souhaité avoir des précisions sur les conséquences concrètes que pourrait avoir la conclusion d’un pacte d’intérêt commun, par exemple en matière de successions, de pension de réversion ou de regroupement familial pour les fonctionnaires. Il a souligné que le législateur serait peut-être conduit à se pencher sur cette question et qu’il était important qu’il puisse en mesurer la portée sauf à se trouver placé devant le dilemme décrit par M. Philippe Malaurie.

M. Jean Hauser a observé que, jusqu’à présent, des droits avaient été donnés aux concubins sans définir précisément au préalable le concubinage. Il a donc souhaité que soit définie d’abord une structure optionnelle avant de prévoir les droits qui y seraient associés. Il a fait valoir qu’il existerait des pactes à géométrie variable, ayant plus ou moins de conséquences en fonction du choix des parties. Il a en revanche estimé que certaines dispositions n’avaient pas vocation à s’appliquer aux " picistes , par exemple les règles de succession ab intestat. Il a conclu son propos en estimant que certaines techniques chargées de signification devaient rester liées au mariage, tandis que d’autres, plus neutres, pouvaient être utiles pour le pacte d’intérêt commun.

M. Robert Badinter a souhaité savoir s’il serait possible qu’une même personne puisse être impliquée simultanément dans plusieurs pactes d’intérêt commun.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a demandé si le pacte serait limité à deux personnes ou s’il pourrait être étendu à davantage d’individus, par exemple dans le cas de fratries.

M. Jean Hauser a répondu qu’une personne ne pourrait participer qu’à un seul pacte à la fois. Il a estimé que la demande en matière de pacte d’intérêt commun concernait pour l’essentiel des personnes souhaitant vivre à deux. Observant que certains concubins aisés créaient d’ores et déjà des sociétés civiles pour la gestion de leurs biens, il a souligné que le pacte d’intérêt commun constituerait en quelque sorte une petite société civile destinée à introduire des éléments de prévisibilité dans les relations entre deux personnes. Il a estimé qu’au-delà de deux personnes le régime des sociétés offrait déjà des solutions.

**Au cours d’une deuxième séance tenue dans l’après-midi, la commission a procédé tout d’abord à l’audition de Mme Michelle Torrecillas, juge aux affaires familiales au tribunal de grande instance de Belfort et de M. Thierry Fossier, président de la chambre de la famille du tribunal de grande instance de Grenoble.

Mme Michelle Torrecillas a donné le point de vue d’un juge aux affaires familiales de province sur la pratique judiciaire en matière familiale. Au sujet des relations entre parents et enfants, elle a estimé que les évolutions positives décrites par les intervenants précédents concernant l’amélioration du lien entre le père et les enfants et la diminution du nombre d’enfants qui perdaient le contact avec l’un des deux parents ne reflétaient pas la réalité dans son tribunal.

Elle a considéré que la loi de 1993 sur l’autorité parentale conjointe était encore mal assimilée tant par les parents eux-mêmes que par les professionnels du droit ou l’administration. Elle en a donné pour preuve le fait que, même en cas d’accord des parents, le juge était souvent amené à fixer le domicile éventuel ou les droits de visite et d’hébergement, ce qui, dans le cadre de la loi de 1993, devait en principe être le fait des parents.

Elle a estimé qu’il était prématuré d’envisager une déjudiciarisation des procédures de divorce, le juge devant garantir les intérêts des enfants et éviter que les parents abandonnent des prérogatives. Elle a néanmoins reconnu que l’idée de se passer du juge pouvait paraître séduisante, dans la mesure où celui-ci, en traitant un contentieux de masse, perdait de sa crédibilité et était souvent considéré comme une chambre d’enregistrement. Mais elle a considéré qu’il était plus constructif de toiletter la procédure de divorce en éliminant le formalisme inutile. Elle a ainsi préconisé que le divorce par consentement mutuel puisse être prononcé dès la première comparution chaque fois que le juge a pu constater la réalité du consentement des époux.

Pour éviter le recours au divorce pour faute qui conduit à formaliser des griefs et engendre un très mauvais climat, elle a proposé de permettre à l’un des époux de déposer une requête en divorce unilatérale, ce qui n’empêcherait pas l’époux défendeur de demander que soit caractérisés les griefs à son encontre ou de formuler lui-même une demande reconventionnelle en divorce pour faute.

Mme Michelle Torrecillas a décrit les évolutions récentes en matière de jugement des affaires familiales. Elle a rappelé le rôle central du juge aux affaires familiales, de création récente et instauré comme juge unique du début à la fin de la procédure de divorce. Elle a précisé que son rôle n’était plus seulement de trancher des conflits mais également de traiter des problématiques familiales avec l’appui de multiples intervenants, avocats, greffiers, mais aussi travailleurs sociaux, psychologues, psychiatres ou médiateurs. Rappelant que le service de médiation du tribunal de Belfort ne fonctionnait que depuis un an, elle a regretté que les juridictions de province soient moins bien dotées en intervenants sociaux ou de médiation que la région parisienne. Elle a considéré qu’il était important de développer ces moyens pluridisciplinaires permettant de dédramatiser les divorces.

En conclusion, elle a souligné la particularité du contentieux de la famille qui, en raison du caractère passionnel des relations entre hommes et femmes, d’une part, entre parents et enfants, d’autre part, ne pouvait pas être intellectualisé.

M. Thierry Fossier a traité successivement des questions du statut économique de l’enfant, du rôle du travail social par rapport à la famille et de l’organisation de la juridiction familiale.

Concernant le statut économique de l’enfant, il a fait part de son expérience en tant que juge aux affaires familiales et juge des tutelles concernant l’apprentissage économique des mineurs. Il a constaté que les jeunes majeurs étaient singulièrement démunis devant les lois économiques, ceux qui n’ont pas de patrimoine se reposant sur leur famille, ceux qui en ont un étant souvent sous la tutelle de fait des parents. Il a considéré que cette réalité n’était pas conforme au choix du législateur de 1974 qui avait abaissé à 18 ans l’âge de la majorité et que cette gestion tutélaire ne laissait pas assez de place à la participation de l’adolescent.

Il s’est fait l’écho des préoccupations de la conférence de la famille de 1996 concernant l’obligation alimentaire des parents à l’égard de leurs enfants jeunes majeurs, estimant que la position des juridictions de plus en plus favorable à l’extension de cette obligation jusqu’à un âge de plus en plus élevé des enfants occasionnerait nécessairement des tensions familiales ou même des répercussions sur la fécondité et qu’il faudrait peut-être envisager la prise en charge de ces jeunes par la collectivité.

Concernant la place de l’enfant dans la procédure, il a regretté que la Cour de cassation résiste à introduire la Convention de New-York dans le droit positif, ce qui ne se ferait pas sans contrepartie, mais générerait pour les enfants des droits comme des obligations. Sur le domaine non exploré du statut de l’enfant dans la famille recomposée, il a considéré qu’il conviendrait de déterminer des rapports juridiques entre l’enfant de parents séparés et le nouveau compagnon du parent gardien.

Concernant la place du travail social qui est un palliatif aux carences familiales, M. Thierry Fossier a indiqué que la conférence de la famille avait préconisé le développement plus poussé de la médiation familiale et de l’action associative mais qu’une réflexion fondamentale devait être engagée sur la possibilité d’introduire d’autres modes moins coûteux d’assistance matérielle et morale aux familles, tels les groupes d’achats collectifs, les animations de quartier, l’entraide familiale, les permanences éducatives.

Concernant l’organisation de la juridiction familiale, M. Thierry Fossier a indiqué que les trois fonctions qu’elle comportait, exercées respectivement par le juge des tutelles, le juge des enfants et le juge des affaires familiales, présentaient des caractères communs : un certain isolement au sein de l’institution judiciaire ; une procédure axée sur les intérêts de l’enfant ; une fonction thérapeutique de l’audience ; une masse de dossiers nouveaux ou en suivi dont une bonne part pourrait justifier l’intervention des assistants de justice et un contact permanent avec les collectivités territoriales et le travail social.

Il a préconisé un rapprochement de ces trois juges dans un tribunal de la famille, dont le siège serait à déterminer, ce regroupement ayant l’avantage d’aider à une réflexion d’ensemble sur le statut de l’enfant, de permettre une extension du rôle de l’avocat, une meilleure maîtrise du développement du travail social et une plus grande cohérence des jurisprudences. Il a laissé entendre que la création d’un tel tribunal pourrait être un début de solution au lancinant problème de la carte judiciaire.

M. Jacques Larché, président, a constaté l’approche plus immédiate des questions de ces deux intervenants, peut-être due à des conditions d’exercice de leur profession moins anonyme que celles existant en région parisienne. Il s’est déclaré en accord avec l’approche prudente de Mme Torrecillas concernant la déjudiciarisation.

**La commission a ensuite procédé à l’audition de M. Jean-Marie Coulon, président du tribunal de grande instance de Paris.

M. Jean-Marie Coulon, souhaitant livrer une approche pragmatique et de gestionnaire, a indiqué que le service du juge aux affaires familiales de Paris traitait 13.000 affaires par an, que les divorces y représentaient 56 % des procédures, les divorces par consentement mutuel représentant 57 % d’entre eux et exigeant 7 mois de délai en moyenne. Il a rappelé que le divorce par consentement mutuel représentait 10 % de l’ensemble des activités des tribunaux civils.

Concernant le problème de la déjudiciarisation qu’il n’avait pas abordé dans son rapport sur la procédure civile, il a rappelé que les positions étaient très crispées au départ, mais qu’elles semblaient évoluer, notamment celles des notaires. Il a considéré que l’intervention du juge était un facteur essentiel, même dans le divorce par consentement mutuel qui, bien que s’apparentant à une procédure gracieuse, gardait une connotation contentieuse.

Il a insisté sur l’importance pour la justice de respecter des délais raisonnables, constatant que le facteur temps prenait de plus en plus d’importance dans l’esprit des justiciables qui admettaient difficilement les délais de 9 à 10 mois nécessaires en moyenne pour un divorce.

Il a considéré qu’il faudrait redéfinir des modalités d’intervention du juge plus adaptées aux évolutions de la famille et à la croissance des flux. Il a ainsi préconisé de rendre facultative la deuxième comparution devant le juge ce qui pourrait raccourcir les délais de 3 mois sans bouleversement procédural majeur. Il a en effet estimé que l’utilité du temps de réflexion accordé aux parties par l’exigence de la deuxième comparution relevait de l’utopie.

Constatant que la médiation n’avait pas encore pénétré la culture judiciaire, une centaine de médiations seulement étant réalisées par an, M. Jean-Marie Coulon s’est déclaré favorable à une généralisation de cette procédure qui aiderait les parties en atténuant la notion de faute.

M. Jacques Larché, président, observant que les justiciables paraissaient plus sensibles aux délais de jugement qu’à l’indépendance du parquet, a rappelé la situation très difficile des juridictions relevée par la mission d’information de la commission des Lois sur les moyens de la justice, conduite par MM. Charles Jolibois et Pierre Fauchon. Mais en la matière, il s’est déclaré surpris de la modestie relative du délai de dix mois annoncé. Mme Sylvaine Courcelle, ayant indiqué que les délais moyens de jugement d’appel à Paris étaient de deux ans, l’appel étant possible uniquement en cas de divorce pour faute et ne concernant que 10 % des affaires, il a estimé que ces délais semblaient satisfaisants. M. Jean-Marie Coulon, ayant indiqué que la suppression de la deuxième comparution pourrait permettre d’obtenir un divorce en six semaines, M. Jacques Larché, président, s’est interrogé sur l’opportunité d’arriver à des délais si courts.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a considéré qu’il était acceptable de supprimer la deuxième comparution dans les cas où le juge estimerait qu’elle était inutile.

M. José Balarello s’est au contraire prononcé pour le maintien des deux comparutions estimant, en fonction de son expérience d’avocat, qu’une période de réflexion était nécessaire et qu’un fonctionnement normal des tribunaux pourrait permettre d’obtenir un divorce en quatre mois avec deux comparutions. Il a considéré que l’encombrement des tribunaux ne devait pas être une raison de modifier la législation du divorce.

M. Jean-Marie Coulon a estimé que les juges aux affaires familiales avaient une expérience suffisante pour apprécier la nécessité d’une deuxième comparution.

En réponse à M. Pierre Fauchon qui s’interrogeait sur la dispersion des délais autour de la moyenne annoncée, Mme Sylvaine Courcelle a précisé que les divorces par requête conjointe approchaient réellement la durée de 7 à 8 mois mais que dans les divorces pour faute des expertises pouvaient conduire à des délais de 2 à 3 ans. Elle a indiqué que Paris comptait plus de divorces par requête conjointe que la province, et que beaucoup de Français de l’étranger et d’habitants de l’Ile de France engageaient leur procédure à Paris.

**La commission a ensuite procédé à l’audition de M. Régis de Crépy, représentant de l’association des Maires de France.

A titre liminaire M. Régis de Crépy a indiqué que l’Association des Maires de France n’avait pas formalisé une position officielle sur les questions intéressant le droit de la famille.

S’appuyant sur son expérience de maire d’une commune rurale de 650 habitants, M. Régis de Crépy a relevé les effets de l’évolution démographique sur la situation des familles. Il a indiqué que dans sa commune seulement 50 % des enfants scolarisés vivaient avec leurs deux parents biologiques, situation qui lui a paru rapprocher le milieu rural du milieu urbain.

M. Régis de Crépy a fait valoir que le maire exerçait deux fonctions essentielles : d’une part, éclairer la population sur son avenir et, d’autre part, être un médiateur entre les différentes composantes de cette population. Il a souligné que cette dernière fonction était particulièrement riche en milieu rural.

Puis, après s’être interrogé sur l’urgence qu’il y aurait à légiférer sur le problème de la vie à deux et la réforme du divorce, M. Régis de Crépy a fait observer que la prise en charge financière d’une éventuelle réforme pourrait soulever des difficultés.

Faisant observer que l’évolution de la famille posait des questions sérieuses, il a considéré que les différentes mesures adoptées récemment ne contribuaient malheureusement pas à préserver la famille dans sa forme traditionnelle.

Après avoir fait constaté que les analyses relatives aux effets du divorce sur la famille étaient souvent contradictoires, M. Régis de Crépy a jugé difficilement concevable qu’un maire qui avait pour fonction de préserver l’unité sociale puisse à la fois célébrer les mariages et officialiser des divorces. Emettant des doutes sur les compétences du maire pour évaluer toutes les conséquences d’une séparation des époux et de leurs enfants, il a estimé que les compétences requises se trouvaient nécessairement dans les milieux judiciaires.

S’agissant des problèmes de la vie à deux, M. Régis de Crépy a fait valoir que le maire ne pouvait pas favoriser une évolution qui, d’une manière ou d’une autre, aurait pour effet de déstabiliser l’institution familiale.

Craignant qu’une telle orientation soit en décalage avec les aspirations profondes de l’opinion publique, il s’est interrogé sur les motifs qui conduiraient à remettre en cause les deux institutions fondamentales qu’étaient le maire et la famille.

Présentant enfin différentes recommandations, M. Régis de Crépy a fait valoir, en ce qui concerne la vie à deux, que la solidarité que le législateur pouvait encourager entre deux individus ne pouvait être conçue pour le court terme. Considérant que l’idée d’une gradualité des statuts était illusoire, il a fait observer qu’une diminution du niveau des exigences pour l’un des statuts se répercuterait nécessairement sur les autres statuts, " la mauvaise monnaie chassant la bonne ". Après avoir plaidé pour une certaine prudence politique, il a jugé nécessaire d’encourager chez les jeunes la constitution de liens durables.

M. Jacques Larché, président, a alors rappelé que la commission des Lois n’avait pas l’intention de légiférer dans la hâte sur ces questions essentielles mais souhaitait au contraire prendre le temps de la réflexion.

S’appuyant sur l’exemple du département de la Seine-et-Marne, il a estimé que la majorité des enfants vivaient encore avec leurs deux parents biologiques.

M. Charles Jolibois a souhaité que l’Association des Maires de France adopte une position officielle sur les propositions prévoyant, d’une part, l’intervention du maire dans la passation de contrats ou de pactes d’union civile, d’autre part, la " municipalisation " de certains divorces.

En réponse, après avoir pris acte de ce souhait, M. Régis de Crépy a précisé que son propos ne visait pas les présents travaux de la commission des Lois mais les initiatives de certains groupes de pression. Il a en outre fait valoir que les éléments statistiques qu’il avait donnés constituaient une simple illustration tendant à montrer le rapprochement entre les comportements familiaux en milieu rural et en milieu urbain.

**La commission a ensuite procédé à l’audition de Maître Jacques Combret, notaire.

Me Jacques Combret a tout d’abord observé que dans, l’exercice de leurs fonctions, les notaires ne rencontraient pas seulement des familles déchirées, mais également des familles heureuses, des familles réglant à l’amiable leurs difficultés quotidiennes. Il a souligné que le rôle de conseiller des familles exercé par le notaire était incontestablement la plus difficile, mais aussi la plus gratifiante, de ses missions.

A propos des propositions de pacte d’intérêt commun et de contrat d’union sociale, Me Jacques Combret a fait valoir que la demande d’un contrat spécifique était largement minoritaire chez les concubins et que des solutions existaient déjà pour régler les problèmes particuliers, notamment sociaux ou fiscaux des concubins. Evoquant le cas des couples qui sont dans l’impossibilité de se marier, il a estimé qu’il ne fallait pas rejeter d’emblée toutes les propositions et a indiqué que le pacte d’intérêt commun paraissait, en l’état actuel des choses, la seule proposition examinable malgré de nombreuses réserves.

Me Jacques Combret a estimé que la prestation compensatoire en matière de divorce devrait faire l’objet d’une capitalisation au moment du décès du débiteur et être déduite du patrimoine lors de la déclaration de succession. Il a souligné que l’immense majorité des notaires était hostile à la déjudiciarisation du divorce, préférant une simplification du divorce par consentement mutuel.

Evoquant le coût des actes notariés, il a rappelé qu’en l’absence de patrimoine, ces actes n’entraînait guère de frais. Il a en outre remarqué que parmi les frais de notaires étaient inclus des frais fiscaux et a estimé que certaines dispositions méritaient des améliorations à cet égard. Il a indiqué que les notaires étaient naturellement prêts à mettre leurs compétences au service de procédures de conciliation ou de médiation qui permettraient un règlement en amont des liquidations de régimes matrimoniaux.

Me Jacques Combret a fait savoir que le congrès des notaires de France de 1999 aurait pour thème " Demain la famille " et comporterait quatre sujets essentiels. Il a observé que le premier de ces thèmes porterait sur l’évolution des concepts liés à la famille, en particulier le mariage et l’union libre, ainsi que l’évocation de nouvelles questions, telles que celle des ménages bi-nationaux ou d’origine étrangère installés en France.

Me Jacques Combret a précisé que le second axe du congrès serait les solidarités et les responsabilités, notamment les obligations alimentaires et l’inadaptation du droit actuel face à l’augmentation de la population des personnes âgées ou très âgées. Il s’est en particulier demandé si les procédures de tutelle et de curatelle ne pourraient pas faire l’objet d’aménagements.

Il a indiqué que le troisième thème du congrès serait consacré aux ruptures, non seulement du couple, mais également entre parents et enfants ou entre fratries. Il a enfin précisé que le dernier des thèmes du congrès de 1999 serait les transmissions. A ce sujet, il a fait valoir qu’il était aujourd’hui indispensable de reprendre la réforme du droit des successions, en gardant à l’esprit que cette question était très liée à celle des régimes matrimoniaux. Il a observé qu’une plus grande souplesse paraissait aujourd’hui nécessaire, afin de permettre aux personnes âgées de régler leur succession de leur vivant.

M. Jacques Larché, président, a estimé que l’évolution du droit des successions était probablement l’un des domaines dans lesquels une réforme s’imposait de la manière la plus urgente, compte tenu de l’augmentation de la durée de la vie et de la multiplication des familles recomposées.

**La commission a ensuite procédé à l’audition de Maître Jacqueline Beaux-Lamotte, président de la commission ouverte sur le droit de la famille du barreau de Paris et Maître Françoise Baqué de Zan, rapporteur de la conférence des Bâtonniers.

Me Jacqueline Beaux-Lamotte a tout d’abord précisé qu’elle prenait la parole au nom de la commission ouverte sur le droit de la famille du barreau de Paris. Elle a souligné que le rôle premier de l’avocat était d’être un auxiliaire de justice, ayant toujours pour objectif de faciliter les accords et d’éviter les contentieux. Elle a observé que la place de l’avocat n’était pas contestée, même parmi les partisans d’un divorce non judiciaire.

A propos du divorce devant l’officier d’état civil, elle s’est interrogée sur le critère qui permettrait de confier certains divorces au maire. Elle a exprimé la crainte que, dans l’hypothèse où l’officier d’état civil se contenterait de prononcer le divorce tout en renvoyant au juge le soin de régler les questions liées aux enfants, à la prestation compensatoire et à la liquidation du régime matrimonial, le divorce soit prononcé sans que les parties en aient mesuré les conséquences.

Se prononçant contre la possibilité de confier une telle tâche aux maires, elle a constaté que l’Etat avait un rôle dans la protection de la famille, reconnu par la déclaration universelle des droits de l’Homme. Elle a en outre souligné qu’il existait bien souvent des rapports de force dans un couple et qu’il convenait de protéger le plus faible, le juge et l’avocat exerçant un rôle protecteur en ce domaine. Elle a enfin rappelé que le ministère d’avocat s’imposait en cette matière parce que ce dernier était avant tout un auxiliaire de justice et non un conseiller juridique des parties.

Me Jacqueline Beaux-Lamotte s’est ensuite prononcée en faveur d’un assouplissement des procédures existantes en matière de divorce. A propos du divorce par requête conjointe, elle a estimé qu’il serait utile d’offrir aux parties la possibilité de demander à être dispensées du délai de réflexion imposé entre les deux comparutions prévues par la loi, ce qui permettrait le prononcé du divorce dès la première audience.

Elle a ensuite fait observer que le divorce par demande acceptée présentait l’intérêt d’éviter un conflit sur les torts respectifs des époux et a souhaité que soit supprimé le mémoire expliquant les raisons pour lesquelles la vie commune n’était plus possible. Elle a en outre observé qu’il conviendrait de permettre la possibilité d’une demande conjointe.

Me Jacqueline Beaux-Lamotte s’est prononcée contre la disparition de la procédure de divorce pour faute et a indiqué que la commission du droit de la famille de l’ordre des avocats de Paris souhaitait que le temps de séparation nécessaire pour le prononcé du divorce pour rupture de la vie commune soit réduit de 6 à 3 ans.

Concluant son propos, Me Jacqueline Beaux-Lamotte s’est déclarée en accord complet avec la proposition de loi votée par le Sénat sur la prestation compensatoire en matière de divorce. Elle a souhaité qu’une réflexion soit entreprise sur la possibilité de liquider le régime matrimonial des époux dès le prononcé du divorce.

Me Françoise Baqué de Zan a tout d’abord rappelé que le droit ne permettrait jamais de résoudre l’ensemble des insatisfactions des justiciables. Elle s’est demandée si à force de vouloir équilibrer les rapports de force dans le cadre d’un divorce, on ne risquait pas de détruire les rouages qui sont ceux de tout procès.

A propos de la contractualisation du concubinage, elle a souligné qu’il s’agissait d’une question avant tout éthique et s’est demandé si elle ne remettait pas en cause l’idée même d’union libre. Elle a estimé que ce thème était aujourd’hui évoqué parce que la communauté d’intérêts tendait de plus en plus à primer sur la communauté de vie. Elle a observé que de nombreuses personnes étaient à la recherche de droits et s’interrogeaient sur les mérites respectifs du mariage, du concubinage, voire du pacte d’intérêt commun en matière d’avantages sociaux, fiscaux ou successoraux.

Evoquant ensuite le contentieux du divorce, Me Françoise Baqué de Zan a fait valoir que la loi de 1975 avait donné globalement satisfaction et que certaines possibilités offertes par le code civil ou le code de procédure civile n’étaient aujourd’hui pas utilisées. Elle a estimé que l’hypothèse d’un divorce devant le maire constituait une vue de l’esprit, que le mariage était simple et désiré par deux personnes, tandis que le divorce constituait la rupture d’une situation juridique. Observant qu’un acte juridictionnel ne pouvait être accompli en dehors des juridictions, elle s’est en outre interrogée sur la manière dont serait respecté le secret auquel a droit tout couple, dans l’hypothèse d’un divorce prononcé par le maire d’une petite commune. Elle a remarqué qu’il était paradoxal de décentraliser la procédure de divorce au moment où l’on recherche les moyens de refondre la carte judiciaire pour centraliser les sites. Elle a enfin estimé que les officiers d’état civil n’étaient pas aptes à détecter les souffrances méritant un traitement particulier dans le cadre d’une procédure de divorce, contrairement aux praticiens du droit que sont les magistrats et les avocats.

Me Françoise Baqué de Zan a estimé que certaines procédures devraient être aménagées. Elle a fait valoir que le divorce par requête conjointe devrait pouvoir être prononcé après une seule comparution. A cet égard, elle a formulé deux propositions alternatives, l’une consistant à supprimer la première comparution en rendant exécutoire la convention temporaire réglant la situation des parties pendant la procédure, l’autre tendant à permettre au juge de demander aux parties, lors de la première comparution, si elles souhaitaient renoncer au délai de réflexion.

Me Françoise Baqué de Zan a fait valoir que la disparition éventuelle du divorce pour faute porterait atteinte à la nature contractuelle du mariage, qui implique la faculté de rupture aux torts de la partie qui n’a par respecté les obligations nées du contrat. Observant que le temps est souvent un facteur d’apaisement, elle a en revanche estimé nécessaire de simplifier le système de la passerelle, qui permet à une procédure contentieuse d’être transformée en une procédure sur requête conjointe. Elle a souligné que dans un tel cas, l’ensemble de la procédure sur demande conjointe ne devrait pas être repris et s’est prononcée pour une suppression du second alinéa de l’article 246 du code civil.

Me Baqué de Zan a ensuite remarqué qu’il n’était pas admissible que la procédure de divorce soit traitée avec une relative rapidité, tandis que la liquidation du régime matrimonial pouvait attendre des années. Indiquant que l’article 1146 du code de procédure civile permettait au juge de demander à un notaire d’élaborer un projet de liquidation, elle a estimé que cette procédure était trop peu utilisée et a jugé souhaitable que le juge ait cette faculté au stade des mesures provisoires.

A propos de la prestation compensatoire, Me Françoise Baqué de Zan a exprimé la crainte que la révision ouverte par le Sénat en cas de changement substantiel conduise à une multiplication des contentieux et a souligné qu’une réforme de la prestation devrait surtout consister à faciliter le versement de cette indemnité en capital. Elle s’est déclarée favorable à une réduction à trois ans du délai nécessaire avant le prononcé d’un divorce pour rupture de la vie commune. Elle a estimé que l’introduction d’un divorce pour cause objective était nécessaire et que la procédure de divorce sur demande acceptée pourrait servir de base à un tel divorce.

Évoquant les obligations alimentaires, Me Françoise Baqué de Zan a souligné la persistance de nombreux contentieux en matière de paiement des pensions alimentaires et a fait valoir que les avocats et les magistrats étaient trop souvent sollicités pour des contentieux liés au recouvrement public des pensions alimentaires.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a souhaité savoir si la conférence des Bâtonniers était dans son ensemble hostile à l’élargissement des possibilités de révision de la prestation compensatoire.

M. Jacques Larché, président a indiqué que la commission des Lois avait largement débattu sur la question de la prestation compensatoire et s’était arrêtée sur la formulation qui lui avait paru la moins mauvaise à ce stade. Il a rappelé que les propositions faites par la commission des Lois pour favoriser fiscalement le versement de la prestation compensatoire s’étaient heurtées à l’article 40 de la Constitution.

M. Jean-Jacques Hyest a fait valoir qu’il était impossible de ne rien faire, compte tenu des graves injustices que provoquait la difficulté de la révision des prestations compensatoires.

Me Françoise Baqué de Zan a indiqué que les positions qu’elle défendait étaient celles de la commission consultative sur le droit de la famille de la conférence des Bâtonniers. Elle a reconnu que toutes les conséquences de la loi de 1975 en matière de prestation compensatoire n’avaient pas été mesurées et qu’une adaptation s’imposait.

**La commission a ensuite procédé à l’audition de Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice,

Accueillant le Garde des sceaux, M. Jacques Larché, président, lui a indiqué que trois questions essentielles ressortaient des auditions auxquelles la commission des lois avait procédé.

En premier lieu, faisant valoir la nécessité d’une vue assez globale en matière de droit de la famille, il a mis en avant le problème de la réforme du droit des successions. En second lieu, il a fait observer que le droit du divorce suscitait des propositions portant sur le contenu même des procédures et allant de simples aménagements jusqu’à la remise en cause de la loi de 1975. Il a noté le problème posé par la déjudiciarisation éventuelle de la décision de divorce. Enfin, il a fait état des réflexions concernant le contenu et les conséquences d’un éventuel pacte d’intérêt commun.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a tout d’abord tenu à souligner tout l’intérêt qu’elle portait aux initiatives parlementaires concernant un sujet de société aussi sensible pour lequel la confrontation des points de vue lui apparaissait particulièrement souhaitable. Rappelant que le Gouvernement avait confié une mission de réflexion à Mmes Théry et André sur le droit de la famille, elle a précisé que des propositions seraient présentées dans le courant de l’année prochaine.

Jugeant nécessaire d’évaluer la situation actuelle de la famille, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a considéré qu’il fallait éviter les schémas simplistes opposant les défenseurs des droits de la famille aux défenseurs des droits des individus. Elle a souligné que la famille n’était pas une simple juxtaposition d’individus, mais qu’elle constituait le lieu symbolique où se construisaient les rapports sociaux. Elle a également jugé nécessaire de prendre en compte les réflexions européennes et internationales sur le droit de la famille.

Faisant observer que la famille était plus qu’une simple affaire privée ou contractuelle, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a souligné qu’elle était également le lieu des rapports entre les générations, entre les sexes et qu’elle mettait en cause les notions d’autorité et de liberté. Elle a relevé que la famille était une institution sociale saisie par le droit.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a considéré que le législateur qui était en charge de la régulation du droit de la famille devait également prendre en compte la symbolique sociale de celle-ci ainsi que les sentiments et les identités qui se construisaient à partir d’elle. Elle a estimé que les concepts juridiques devaient à la fois articuler des notions intemporelles et restituer ces notions dans une histoire qui n’était elle-même pas figée.

Faisant valoir que la situation des familles était complexe, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a jugé nécessaire de ne pas retenir une perspective de déclin qui aboutirait à considérer que la restauration de la situation ancienne constituait la seule issue. Elle a au contraire plaidé pour une approche consistant à reconnaître que la famille demeurait mais dans des formes qui évoluaient. Elle a constaté qu’il fallait toujours deux êtres humains de sexes différents pour qu’un enfant naisse et que celui-ci devrait, quoi qu’il arrive, savoir qu’il a un père et une mère qui exercent à son égard des responsabilités différentes de celles des autres adultes.

Puis, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a fait observer que la notion de couple était de plus en plus forte, ce qui avait pour conséquences, d’une part, de mettre en avant la notion de vie à deux et non plus le fait que le couple était constitué en vue d’assurer une descendance, d’autre part, la recherche d’une égalité de plus en plus marquée entre les hommes et les femmes. Elle a également souligné les préoccupations concernant les droits du conjoint survivant ainsi que la demande d’un statut juridique pour les personnes ayant une vie commune en dehors des liens du mariage.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a souligné qu’on assistait par ailleurs à l’émergence de l’enfant comme personnalité autonome au sein de la famille, ce que traduisait notamment la convention de l’Organisation des Nations Unies de 1989.

Faisant valoir que le législateur devait accompagner ces évolutions, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a souligné que la croyance dans les vertus de la famille était ancrée dans la population et qu’il s’agissait donc de refonder la famille en adaptant et non pas en bouleversant le cadre juridique en vigueur. Elle a estimé que cette rénovation législative devait en premier lieu être conduite à partir de l’affirmation de la volonté du couple, ce qui impliquait de reconnaître une place essentielle à la liberté et à la volonté individuelles.

S’agissant de la vie matrimoniale, après avoir noté l’attachement des Français au régime légal de la communauté de biens réduite aux acquêts ainsi qu’à l’accomplissement à deux des actes essentiels de la vie du ménage, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, s’est interrogée sur l’idée d’une plus grande autonomie du couple dans le choix du régime matrimonial. Elle a envisagé notamment la suppression de l’obligation d’homologation judiciaire déjà prévue par la convention de La Haye pour les couples comportant un élément d’extranéïté.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, après avoir relevé que 53 % des divorces avaient été prononcés par requêtes conjointes en 1994, a fait observer que le divorce était trop souvent perçu comme cher, long et psychologiquement éprouvant. Rappelant ensuite les différentes propositions présentées sur cette question, elle a noté l’existence d’un certain consensus sur l’idée d’une simplification des procédures et souligné l’intérêt d’un recours plus grand aux médiations familiales.

S’agissant de l’idée de mettre en place une nouvelle procédure de divorce qui ferait intervenir un notaire ou un officier d’état civil, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a estimé que cette procédure ne ferait pas perdre au mariage son caractère institutionnel même si cette question méritait d’être posée. Elle a en outre relevé qu’elle permettrait au couple de réfléchir lui-même sur la question du divorce sans l’intervention d’un tiers. Elle a estimé qu’il était souhaitable de distinguer l’accès au droit de l’accès au juge, distinction qui serait un axe essentiel de la prochaine réforme de la justice. Elle a néanmoins fait valoir qu’une nouvelle procédure simplifiée de divorce soulevait un certain nombre de questions qui devraient être résolues, notamment le maintien de la possibilité de s’adresser au juge, la nécessité d’éviter des distorsions entre les demandeurs selon leur niveau de ressources, ainsi que le risque de désavantager l’un des deux époux.

Evoquant par ailleurs la suggestion de remplacer le divorce pour faute par la simple preuve d’une séparation de fait, Mme le garde des sceaux s’est interrogée sur le point de savoir si les procédures actuelles n’avaient pas pour effet d’accentuer les difficultés au sein du couple.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a jugé nécessaire d’aménager la rupture du lien matrimonial au plan financier en faisant bénéficier les époux de règles plus simples et de procédures moins longues permettant de solder définitivement la situation au moment du divorce.

Après avoir jugé souhaitable d’inciter à chaque fois que cela était possible à un versement en capital, elle a fait observer que les débats en cours sur une réforme de la prestation compensatoire devaient se poursuivre afin de permettre l’émergence de solutions satisfaisantes, à la fois pour les intéressés et, s’agissant du régime fiscal, pour les finances publiques. Elle a appelé à aborder avec circonspection la révision, dont elle a admis la nécessité de l’assouplir, la transmission aux héritiers et le caractère viager.

En ce qui concerne le règlement successoral, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a plaidé pour des règles de dévolution plus simples. Elle a souligné que les droits du conjoint survivant posaient des questions importantes, dans la mesure où celui-ci n’est pas un héritier réservataire et n’a un droit d’usufruit que sur le quart de la succession. Elle a jugé nécessaire de renforcer la volonté individuelle, tout en prenant en compte le fait que le conjoint survivant n’était pas toujours le seul conjoint et le parent de tous les enfants. Elle a également souligné qu’une réflexion serait nécessaire sur les conséquences attachées à l’octroi d’un usufruit.

Abordant la situation des couples non mariés, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a fait observer que le concubinage, qui concernait désormais 20 % des couples, avait des effets limités et qu’en outre il ne pouvait bénéficier qu’aux couples hétérosexuels. Elle a relevé la revendication homosexuelle qui tendait à une prise en compte juridique de la réalité sociale du couple homosexuel par une plus grande place accordée à la volonté individuelle. Elle a néanmoins indiqué qu’elle n’envisageait pas de proposer une législation spécifique pour ces couples.

Énonçant différentes pistes de réflexion, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a fait valoir que la création d’un statut du concubinage qui aboutirait à sa reconnaissance sociale par la création d’un nouveau contrat dans le code civil paraissait difficilement envisageable car ce statut aboutirait à redéfinir l’institution du mariage. Elle a évoqué la possibilité de permettre au couple de régler les questions patrimoniales qui se posaient dans la vie commune, par la constitution d’un pacte ou d’un contrat d’union civile. Elle a enfin relevé la solution consistant à résoudre les questions patrimoniales qui se posaient dans la vie quotidienne des couples, par exemple en matière de logement, par des législations sectorielles. Enfin, elle a jugé possible de coordonner ces différentes pistes de réflexion.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a rappelé que l’enfant était devenu progressivement un sujet de droit, mais que son autonomie progressive jusqu’à sa majorité devait être accompagnée d’une protection spéciale. Elle a notamment considéré qu’il ne saurait être question d’abaisser la majorité pénale ce qui serait contraire à la consécration de la responsabilité des parents et que l’enfant devait bénéficier d’une protection de son identité et de son éducation conjointe par ses deux parents tant sur le plan moral que matériel.

Elle a estimé que l’enfant devait bénéficier d’une filiation établie et stable.

Concernant l’établissement de la filiation naturelle qui fait l’objet de certaines critiques, elle s’est demandée s’il fallait maintenir le principe d’une reconnaissance maternelle, compte tenu des engagements internationaux de la France et quels moyens permettraient d’informer les couples non mariés et d’assurer l’information réciproque des parents en l’absence de reconnaissance simultanée.

Elle a considéré cependant que la question principale restait la détermination du droit pour l’enfant à la connaissance de ses origines quand la filiation biologique n’a pas été établie. Elle a rappelé que ce droit, reconnu de manière nuancée par l’article 7-1 de la convention internationale sur les droits de l’enfant, pouvait se heurter au principe du respect de la vie privée dans les cas de demande par la mère du secret de l’accouchement, de procréation médicalement assistée et d’abandon anonyme d’un enfant par des parents ayant demandé le secret de leur identité. Elle s’est interrogée sur la possibilité, dans la ligne des propositions faites par le Conseil d’Etat dès 1990, d’instituer un mécanisme permettant de rapprocher un enfant en quête de ses origines de ses parents ayant souhaité garder l’anonymat.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a estimé qu’il convenait d’assurer la stabilité du lien de filiation, en essayant de limiter les possibilités de contestation d’un lien établi, tels le désaveu de paternité légitime, la contestation par la mère de la paternité du mari, la contestation de la filiation d’un enfant légitime qui a une possession d’état non conforme à son titre de naissance et la contestation de reconnaissance d’un enfant naturel. Elle a rappelé que certaines actions pouvaient être exercées pendant 30 ans et que l’auteur d’une reconnaissance mensongère pouvait la contester lui-même pendant 10 ans, alors même que la reconnaissance d’un enfant l’aurait inséré dans une chaîne de générations. Elle a considéré qu’il convenait de concilier vérité, parole et stabilité.

Observant que le développement des ruptures familiales entraînait une fragilisation supplémentaire du lien de filiation, elle s’est demandée s’il ne fallait pas envisager la filiation indépendamment de la situation des parents.

Constatant que notre législation ainsi que la convention sur les droits de l’enfant prévoyaient l’exercice conjoint de l’autorité parentale, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a cependant noté que des difficultés subsistaient. Concernant les familles naturelles, elle s’est demandée s’il ne fallait pas abandonner les conditions qui permettaient que l’autorité parentale soit exercée de plein droit, à savoir la reconnaissance de l’enfant avant l’âge d’un an et la cohabitation des parents lors de la reconnaissance. A propos des parents séparés, elle a rappelé la dénonciation par les pères de la fixation quasi-automatique de la résidence habituelle de l’enfant chez la mère, cette critique devant être relativisée en raison du faible nombre de pères qui demandaient le bénéfice de cette fixation. Elle s’est également interrogée sur la validité de la résidence alternée et sur la possibilité d’évolution de la résidence en fonction de l’âge de l’enfant. Elle a noté que l’exercice conjoint de l’autorité parentale se heurtait à des difficultés pratiques dans les actes de la vie quotidienne, tels les rapports du parent qui n’a pas la garde avec les établissements scolaires accueillant l’enfant. Elle s’est demandée s’il ne faudrait pas déterminer un droit des tiers responsables de l’enfant au quotidien dans les familles recomposées.

Concernant les pensions alimentaires, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, s’est interrogée sur la possibilité d’en déjudiciariser la fixation par le recours à des barèmes et a souhaité l’amélioration des mécanismes de recouvrement.

M. Jacques Larché, président, s’est félicité du fait que la conception de la famille développée par Mme Guigou rejoigne celle de la commission des Lois concernant le souci de la pérennité de la cellule familiale. Il a considéré que les questions qu’elle avait posées n’étaient pas de nature à bouleverser l’état de notre droit mais qu’il serait difficile de passer d’un stade de réflexion à une mise en forme juridique des réformes.

M. José Balarello a posé la question de la préservation des droits des tiers en cas de changement de régime matrimonial et a jugé qu’il était très difficile de passer, en matière de divorce, d’une logique de guerre à une logique de conciliation, du fait de la psychologie des parties.

En réponse à M. Jean-Jacques Hyest qui s’est interrogé sur les réponses à apporter contre la délinquance de plus en plus précoce des mineurs, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a confirmé qu’elle ne souhaitait pas un abaissement de la majorité pénale mais qu’elle ne sous-estimait pas pour autant la gravité du problème et la nécessité d’y apporter des réponses. Elle a rappelé qu’un groupe de travail avait été constitué sur le sujet au sein du ministère de la justice et que le rapport de deux députés était attendu.

M. Jacques Larché, président, a convié Mme le garde des sceaux à participer à une journée d’auditions publiques que la commission des Lois prévoyait d’organiser en liaison avec la commission des affaires sociales sur le problème des mineurs délinquants.