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INTERVENTION TELEVISEE DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC  SUR LA REFORME DE LA JUSTICE

 

Palais de l'Elysée - Lundi 20 Janvier 1997

 

Mes Chers Compatriotes,

 

Je voudrais vous parler ce soir de la justice. C'est une mission essentielle de l'Etat et le Président de la République a, vous le savez, dans ce domaine, des responsabilités particulières.

 La façon dont la justice est rendue, la façon dont elle est vécue par les citoyens, est au coeur de la démocratie. Il n'y a pas d'état de droit, il n'y a pas de vertu républicaine sans une bonne justice.

 Or, la situation n'est pas satisfaisante et les Français le ressentent directement dans leur vie quotidienne.

 Des soupçons demeurent sur l'indépendance des magistrats à l'égard du pouvoir politique. Des droits fondamentaux de la personne humaine sont parfois ignorés.

 Le nombre des procès ne cesse d'augmenter alors que les moyens pour y faire face n'ont pas suffisamment évolué. La justice est en quelque sorte menacée d'asphyxie.

 Le temps est venu de se fixer une grande ambition pour notre justice : refonder les principes sur lesquels elle repose ; moderniser ses moyens et les adapter à notre temps. Je veux mener à bien cette grande réforme pendant ce septennat.

 S'agissant d'abord des grands principes, j'installerai demain, en présence du Premier Ministre et du Garde des Sceaux, la Commission qui sera chargée de conduire, en toute liberté, une réflexion et de faire des propositions.

 Placée sous la présidence du Premier Président de la Cour de Cassation, premier magistrat de France, et composée de professionnels du droit, magistrats et avocats, mais aussi de personnalités, universitaires et journalistes, ayant apporté une contribution dans la réflexion sur l'oeuvre de justice, elle devra répondre à trois préoccupations qui sont d'ailleurs indissociables.

 En premier lieu, elle devra examiner si l'indépendance de l'autorité judiciaire ne pourrait être accrue en modifiant, voire en supprimant, le lien hiérarchique qui relie actuellement le ministère public au Garde des Sceaux, et, le cas échéant, quelles conséquences pourraient en découler.  

Elle devra alors s'interroger sur les sources de la légitimité d'une autorité judiciaire qui serait devenue totalement indépendante des pouvoirs exécutif et législatif, ainsi que sur la nécessaire responsabilité qui devrait en constituer la contrepartie.

 Enfin, elle devra se demander comment la présomption d'innocence, principe constitutionnel depuis 1789, inséparable des droits et de la dignité de l'homme, pourrait être mieux respectée.

 Je souhaite que cette tâche soit menée sereinement, mais avec détermination. Et c'est pourquoi je demande à la Commission de faire part au Gouvernement de ses conclusions avant le 15 juillet prochain afin que celui-ci puisse ensuite saisir le Parlement.

 Mais pour moi la réforme de la justice doit aller au-delà de cette seule réflexion.  

En effet, la justice ne répond pas assez aux attentes des Français, malgré la qualité de ses magistrats, de ses fonctionnaires, de ses auxiliaires. Vous êtes nombreux à la trouver trop lente, parfois trop chère et en définitive, peu compréhensible. Et il est vrai qu'il n'est pas supportable, dans un état de droit, de devoir attendre plusieurs années la décision d'une cour d'appel et de voir classer sans suite une proportion importante des plaintes.

 Il faut donc moderniser la justice afin de la rendre plus rapide, plus claire, et plus proche de vos besoins. L'effort engagé déjà par le Gouvernement devra être fortement amplifié. C'est ce que je lui demande.

 Les moyens consacrés à la justice doivent être augmentés. Tout l'exige. La demande de justice, qui ne cesse de croître. L'introduction indispensable des nouvelles technologies. La rénovation des bâtiments judiciaires et pénitentiaires. Il n'y aura pas de modernisation de la justice sans un effort national accru en sa faveur.

 Mais ces moyens doivent aussi être mieux utilisés. Le Juge doit pouvoir se consacrer à ses missions essentielles. Il faut donc les redéfinir. Il faut qu'une formation permanente permette aux magistrats de s'adapter aux évolutions rapides de notre société. Il faut réfléchir sereinement, en concertation avec les élus locaux, à notre carte judiciaire.

 Quant aux procédures, elles doivent être simplifiées. Actuellement, pour obtenir un jugement, nous dépassons très souvent le délai " raisonnable " défini par la Convention européenne des droits de l'Homme. Raccourcir cette durée, faciliter l'accès au droit et à la justice, garantir l'exécution de ses décisions, tel est l'objectif.  

L'enjeu est d'autant plus grand que l'on touche à la vie quotidienne de nos concitoyens : je pense par exemple aux affaires familiales ou aux litiges devant les Prud'hommes.

 Je voudrais aussi qu'on recherche comment prévenir les procès ou traiter autrement les conflits. Par exemple en recourant plus souvent à la conciliation ou à la médiation.

En évitant de faire toujours plus appel au droit pénal. Autant de voies, et il en est d'autres, que nous devons explorer.

 Sur tous ces aspects, qui touchent à l'amélioration du fonctionnement de la justice, je demande au Gouvernement de me soumettre, au mois de juillet prochain, un plan d'action pour les cinq ans à venir.

Mes Chers Compatriotes,

Il nous faut aujourd'hui bâtir une bonne justice, une justice incontestée, une justice sereine et respectée.

 Vous le savez, de grandes réformes sont en cours : la modernisation de notre défense, la sauvegarde de notre protection sociale, la réforme de l'Etat, l'adaptation de notre système éducatif et maintenant la réforme de la justice.

 C'est ainsi qu'ensemble nous préparons notre pays aux défis de l'an 2000.